Alors voilà. Il y a deux mois, quand j’ai décidé de partir en voyage en Asie je savais que je voulais à un moment ou un autre avoir une expérience de méditation. J’en ai parlé autour de moi et une personne en particulier m’a conseillé pour cela la Birmanie. En effet, le pays ne s’ouvrant au tourisme que depuis peu de temps et étant ancré fortement dans la tradition bouddhiste theravāda, c’est l’endroit idéal pour une retraite Vipassanā.
Je vais donc vous raconter cette expérience dans laquelle je me suis lancé. Cependant ce ne sera pas une critique ou une review du centre mais tout simplement mon expérience personnelle. Et comme je sais que vous êtes impatients, je vais commencer par la fin en expliquant pourquoi je suis resté bien moins longtemps que prévu.
D’abord il faut bien noter deux choses. La première c’est que j’avais peu d’expériences préalables de la méditation. J’en ai eu discuté quelques fois avec des gens la pratiquant et j’ai bien essayé à quelques reprises par moi-même mais il y a beaucoup de choses que j’ignorais. La deuxième chose c’est que avant même de me lancer, évidement, j’avais des doutes. Un peu peur, des questions sur la manière dont ça allait se dérouler. Mais j’en avais tellement parlé autour de moi que je ne voulais plus reculer. Et puis si je n’avais pas tenté le coup, je l’aurai regretté.
Pourquoi je suis sorti si rapidement
La première raison, celle qui m’a fait prendre un peu de temps pour réfléchir pendant la retraite (ce qui n’est pas prévu), c’est mon instinct. On a tous différentes manières de réfléchir. Mais en gros on réfléchi consciemment, ou inconsciemment. Quand c’est conscient, des pensées se forment, on s’en rend compte, on peut verbaliser. Quand ça ne l’est pas, on a plutôt des sensation et c’est difficile à expliquer, c’est l’instinct. Et le deuxième jour, mon instinct me disait de me barrer. Et je suis une personne qui écoute son instinct. En général ça me rend service. Ah bien sûr, avant de valider ses décisions j’essaye de rationaliser et comprendre d’où ça vient, mais parfois je le suis d’abord et comprends plus tard (voire bien plus tard) pourquoi il fallait que je prenne telle ou telle décision.
Dans ce cas précis j’ai commencé à chercher à rationaliser sur le moment et peaufiné une fois sorti, voilà ce que ça donne:
- Le bouddhisme est une religion. Je le savais sans le savoir. Je m’en suis bien rendu compte en le vivant. Il y a des rites, des traditions, des choses implicites. Elles sont importantes pour faire les choses correctement et pour comprendre ce que l’on fait. Et moi je ne suis pas trop disposé à entrer dans une nouvelle religion.
- J’étais dans un monastère, un vrai. Donc j’étais avec des moines et des nonnes. Des gens qui donnent leur vie à cette religion. Un choix qui n’est pas le mien et que je peine à comprendre. Surtout que je n’ai pas les clefs culturelles et religieuses pour comprendre le contexte qui m’entourait et ses symboles. Ce qui fait que je ne me sentais pas en mesure d’accéder à ce que tous recherchaient sur place.
- Je pensais (peut-être naïvement) que la retraite serait un voyage introspectif qui me permettrait de faire le point sur ma vie. Réfléchir à mes objectifs, découvrir certains aspects de ma personnalité. Or logique, pensée et réflexions sont complètement découragées dans le cadre de la méditation vipassanā. Ce qu’on recherche est spirituel : la disparition de toute souffrance. Et le moyen, c’est le vide de pensé.
- Je ne me reconnais pas dans les valeurs proposées. Ici le respect du maitre va au delà de mon entendement, tout du moins dans son expression. La valeur liberté est directrice dans ma vie. Et ici elle se trouve totalement écrasée par l’autorité de la sagesse.
Maintenant que vous savez pourquoi je ne suis pas resté, je vais pouvoir vous raconter en détails mon court voyage et ce que j’ai réussi à en retirer.
La méditation Vipassanā dans le monastère Chanmyay Yeiktha à Yangon
L’accueil
A mon arrivé sur place il pleut, je me suis fait déposer en taxi et j’ai toutes mes affaires avec moi, il est presque 14 heures. Je cherche un peu et fini par trouver l’accueil. Après un peu d’attente une nonne me reçoit. Quand je lui indique que je souhaite méditer 10 jours, elle m’explique que le maitre est parti à l’hôpital mais que je peux attendre son retour. Si il accepte je pourrais commencer le lendemain. En attendant elle me remet un petit fascicule et un livre sur la méthode de méditation suivie en ces lieux. Je décide donc d’attendre en lisant. L’attente dure trois petites heures, le temps de s’imprégner de la méthode à suivre.
L’autorisation
Quelques minutes après le retour du maitre dans sa luxueuse voiture, un moine vient m’inviter à le rencontrer. Je rentre dans le bâtiment qui lui est réservé, m’assoit sur le sol, face à lui dans son canapé, avec la table entre nous. Dans le coin de mon champ de vision un moine me fait signe de m’assoir différemment et m’indique un salut. Je m’exécute et procède à ces trois prosternations à genoux. J’attends ensuite une minute, regard vers le sol et toujours à genoux d’être autorisé à parler. J’indique mon souhait de méditer pour 10 jours et mon pays d’origine. Ainsi que mon absence totale de pratique. Le maitre me signifie que la méditation n’est pas chose aisée. Après que j’acquiesce, il m’autorise à entrer au monastère sur le champ. Je m’attendais à plus de questions sur mes motivations, ma personnalité, ma vie. Mais rien. C’est donc reparti en direction de l’accueil. La nonne semble un peu surprise que je sois autorisé à entrer le jour même mais sans plus. Elle s’occupe de mon admission.
L’admission
Je dois remettre tous mes biens précieux et moyens de communication : téléphone, ordinateur, cartes bancaires, cash, passeport, vêtements luxueux… Je paye aussi 20$. Cela représente le prix du bouquin, deux longyi et les frais d’entrée. Je suis conscient qu’une recommandation existe indiquant qu’il n’est pas nécessaire de payer car les centres fonctionnent sur des dons. Mais je sais aussi que ces dons sont fortement recommandés à la fin du séjour et je préfère payer avant et être au clair que de savoir qu’un don au montant inconnu est implicitement attendu à la fin.
Il faut aussi prendre 8 préceptes pour être accepté comme Yogi :
- Ne pas tuer (pas même un moustique, ça peut être compliqué dans ce pays)
- Ne pas voler
- Ne pratiquer aucune activité sexuelle
- Ne pas mentir
- Ne pas s’intoxiquer (alcool, drogues…)
- Ne pas manger au « mauvais moment » (de midi au lever du soleil)
- Ne pas danser, chanter, écouter ou faire de la musique, porter des bijoux, cosmétique ou quoi que ce soit qui embellisse le corps.
- Ne pas utiliser de lits et sièges hauts ou luxueux
Je connaissais à l’avance ces préceptes et ils ne sont nullement un problème pour moi. On procède donc et je suis ensuite guidé par des laïques jusque à ma chambre. Comme attendu, le matelas fait deux ou trois centimètres d’épaisseur. Mais ça ne me dérange absolument pas. Une moustiquaire et des draps propres sont fournis, un ventilateur est disponible, c’est beaucoup plus que ce que j’attendais.
Un programme de la journée m’est remis. A répéter dix fois donc.
Le début de la méditation
Il est un peu plus de 17 heures quand je commence réellement à pratiquer. Il est prévu d’arrêter à 21 heures 30 pour se coucher. Je me rends dans le hall de méditation réservé aux Yogi étrangers, nous sommes 4 ou 5 et je suis le seul non asiatique. Tout le monde est en méditation assise, je commence donc à faire de même.
Il existe des tas de types de méditations différentes. Et même au sein d’un courant comme le vipassana des variations importantes sont présentes. Ici deux méthodes sont prescrites : la méditation debout, ou marche méditative consiste à marcher lentement en concentrant ses pensées sur le mouvement des pieds. La méditation assise consiste à s’assoir en tailleur et concentrer ses pensées sur le mouvement de l’abdomen dû à la respiration. Tout doit être noté, ou libellé. Par exemple quand je marche, je dois penser énergiquement droite, gauche, droite, gauche. Voire lever, avancer, poser, lever, avancer, poser. Ou même intention, décoller, soulever, avancer, lâcher, toucher, appuyer, intention, décoller, soulever, avancer, lâcher, toucher, appuyer. Quand une sensation advient, on doit libeller sensation, sensation, sensation. Si on souffre, on ne réagit pas, on libelle douleur. Si ça gratte quelque part, on ne gratte pas, on libelle grattement. Tout cela pour moi n’est pas problématique. Je le supporte plutôt bien et suis surpris quand au bout d’une heure de méditation assise il m’est difficile de me lever car mes jambes sont en manque de sang. Je n’avais pas ressenti de douleur perçante.
Ce qui m’amuse moins en revanche c’est la nécessité d’éteindre toute pensée. Moi qui venait pour un voyage intérieur, voilà qu’on m’explique que si je pense, alors il faut libeller pensée, pensée, pensée, pensée énergiquement jusqu’à ce que la pensées cesse. Avec un peu de volonté c’est plutôt facile. Mais ce n’est pas ce que je veux. Qu’à cela ne tienne, à ce stade je suis motivé, pas de problème.
Pendant quatre heures je vais donc alterner méditation debout et assise une heure chaque. A 21h30, direction le lit car il faut se lever à 4 heures.
La nuit et le réveil
Je m’endors assez rapidement, car le sommeil n’est que très rarement un problème pour moi. Cependant je n’ai ni montre ni pendule dans ma chambre. Je me réveille donc une première fois, vais consulter l’heure dans le couloir et constate qu’il n’est que 23 heures 30. Je me recouche. Mon réveil suivant est trop tardif car il est déjà 5 heures. Le temps d’émerger, m’habiller et descendre les quatre étages pour me rendre au petit déjeuner, je suis déjà un peu tard. Vous me direz que je ne vais pas bien vite, effectivement, c’est la méditation des activités quotidienne. Chaque action doit être entreprise à la vitesse d’un escargot et libellée… La nourriture est bonne et en quantité abondante. Encore une fois, bien au delà de ce que j’imaginais. Mais même en mangeant, je médite. Je libelle tout en permanence et m’empêche de penser ou réfléchir.
L’étape suivante c’est le ménage. Une demi-heure pour faire sa chambre, le couloir, la salle de bain et le hall de méditation. Et en méditant s’il-vous-plait.
La décision
Normalement cela est suivi de méditation debout/assise pendant quelques heures. mais le temps est venu pour moi de visionner le DVD du grand maitre expliquant les préceptes. Et là évidement, pas moyen de méditer, il faut assimiler. Et mon esprit critique revient pendant ces 90 minutes. La méthode est expliqué comme dans les bouquins lus la veille. Clairement j’ai bien assimilé les préceptes et ce qu’il me reste à faire c’est pratiquer, pratiquer et pratiquer, jusque à ce que peu à peu, l’illumination se fasse. Mais en fait je n’en ai pas envie, c’est là que je réalise que mon instinct me dit de me barrer. Je décide de finir au moins les 24 premières heures et de faire le point.
Après cela, le maitre me fait appeler. Je me rends chez lui pour une demi-heure d’explication complémentaires.
Ensuite c’est reparti pour la méditation debout/assis. Le seul point nouveau de cette matinée c’est que je dois faire au moins une heure debout avant de faire une demi-heure assis. En effet, se concentrer sur l’activité physique permet d’annihiler plus facilement la pensée critique et évite le risque d’assoupissement. Après deux petites heures de ce rythme c’est l’heure du repas. Encore une fois royal en quantité et qualité, mais c’est sensé être le dernier avant le lendemain matin. Et il n’est que 10h30. Après cela une demi-heure de temps libre est accordée (la seule de la journée). Mais on doit continuer la méditation des activité quotidiennes. Je décide de me poser dans mon lit. Et à l’encontre des préconisations officielles, au lieu de pratiquer la méditation allongé, je réfléchi. Et c’est là que je décide de partir.
Le départ
Je me rends à l’accueil et indique mon souhait de partir. On me demande pourquoi, si c’est la nourriture, les lieux, la chambre. Ou si la méditation est trop difficile. Non, non et non. Mais je suis bien en peine d’expliquer ce qui cloche à des gens dont l’anglais moyen ne permet pas de complètement saisir mon accent français et qui sont profondément investis dans ce chemin spirituel que mon esprit critique me fait rejeter. On me demande donc de voir avec le maitre. Après quelques minutes de discussion celui ci me congédie, probablement blasé, en me demandant d’indiquer à mes amis que la méditation n’est pas chose facile. C’est vrai, ce n’est pas facile. M’enfin ce n’est pas si dur que cela non plus, il faut surtout être certain de le vouloir.
Bilan
En tout cas ce fut une expérience différente. Je suis content de l’avoir tenté et évidement j’en retire un certain nombre de choses.
- Si vous voulez faire une retraite de méditation vipassana, à moins d’êtres sûrs de vous. Ne faites pas les malins comme moi, et choisissez un centre adapté aux occidentaux. Il y en a au Myanmar et même dans le monde entier. C’est moins authentique, mais il y a plus de chance que vous alliez au bout. Enfin si ce que vous souhaitez est d’aller au bout. Pour moi le but était d’avoir l’expérience la plus authentique possible. En ce sens c’est réussi et j’aurai peut-être été plus déçu par un centre plus adapté m’emmenant au bout des dix jours.
- J’ai acquis des techniques de méditation que je réutiliserai peut-être par moi même. Particulièrement pour faire le vide et me calmer (quoi que je sois déjà quelqu’un de plutôt calme).
- J’ai découvert un certain nombre de choses, comme par exemple le fait que la méditation n’est pas exclusive au bouddhisme. Le christianisme ou l’islam proposent des techniques de méditation également. Je ne sais pas si j’essaierai mais je vais me renseigner sur ces choses là. Je ne doute pas qu’il existe également des techniques déliées du fait religieux, et je suis certain que ce que je recherche, avec des aspects introspectifs et critiques existe quelque part.